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Une nuit sur le littoral vendéen, 15 août 2020

par Henri Buffetaut

Il est des chasses aux orages qui ne nous laissent pas tout à fait indemnes. Dans cet exercice délicat de la capture des phénomènes violents, beaucoup de paramètres entrent en jeu. Bien souvent, la réussite d’une chasse tient tant de la beauté des phénomènes observés que de l’ambiance dans lesquels ils sont drapés.

Au fond, ce 15 août 2020 fut un point d’orgue d’une année compliquée, contrariée par de multiples facteurs extérieurs qui ne nous laissèrent que bien peu de loisirs pour observer les grands déchirements célestes. La prévision était simple ce soir-là. Tous les modèles s’accordaient à voir une puissante dégradation orageuse se former sur l’océan et s’en venir toucher terre aux premières obscurités.
Je partis donc sur le coup des 20 heures me poster sur ma plage d’enfance en compagnie de ma femme, à Bretignolles-sur-Mer, sur le littoral vendéen.

Joie des sensations perdues un tant retrouvées. Le souffle tiède de l’océan veillait tranquille sur l’écrin de mes souvenirs. Très haut, très loin dans les cieux, une puissante enclume étirait sa longue corolle d’argent vers des horizons infinis. De tant à autre, un pâle roulement de tonnerre semblable à un funèbre tambour venait faire vibrer l’atmosphère figée. Déjà, une sourde bataille se déroulait au large de l’Île d’Yeu. Déjà, suspendus au dessus des flots, de pâles sillons cuivrés illuminaient comme un fanal d’imaginaires horizons.


Plus au sud, toute une peuplade de moutons vaporeux montaient la garde au-dessus du ressac. Altocumulus castellanus, floccus, ce fut bientôt tout un aréopage de nuages instables qui partirent à l’assaut d’une atmosphère encore trop sèche mais qui représentaient autant de promesses de la nuit mouvementée que nous espérions tous.

Au loin, comme la promesse d’un grand soir orageux, la convection ne cessait de s’élever et de se relever à la suite du premier orage qui filait désormais droit en direction de la Bretagne. Ce fut bientôt tout l’horizon qui se dressa devant nous telle une immense muraille nuageuse. De temps à autre, des éclaireurs portés loin à l’avant de cette armée en marche venaient faire planer quelques sombres menaces au-dessus de nos contrées. Et le crépuscule de s’avancer toujours plus, et la nuit de recouvrir à grands pas mes aimables rivages endormis. Au-dessus de l’Île d’Yeu, une petite cellule détachée commença à porter l’estocade sur le fil de l’océan faussement tranquille.

Ce spectacle se poursuivit durant une vingtaine de minutes. Puis, épuisé, l’orage se tut et l’obscurité se fit totalement. Mu par une force gigantesque, tout l’horizon s’enflamma brusquement avec la tombée de la nuit. Devant, derrière, au nord comme au sud, le ciel entier n’était que scintillement. Le bombardement venait de démarrer et il n’allait plus s’arrêter. Par-delà les eaux calmes, les bases laminaires d’un arcus semblaient se dessiner à mesure que la foudre dardait l’océan de multiples sillons orangés.


Comme une armée en marche, la ligne orageuse s’avança inexorablement vers notre position. De puissantes canonnades électriques enflammaient les reflets du marnage découvert et le tonnerre constant éclatait discrètement comme étouffé par l’onde sur lequel il roulait. Le vent léger et constant soufflait de la terre pour s’en venir rencontrer le système qu’il croisait au large des côtes vendéennes et nous révélait toute sa puissance.

Bientôt la foudre se fit plus proche, la bouche de l’arcus plus menaçante. Le ciel laissait filtrer d’inquiétantes lueurs verdâtres et il nous fallut songer à nous replier. Nous laissâmes l’orage s’approcher plus avant afin de ne manquer aucun éclair mais l’activité changea de nature et se cantonna essentiellement en altitude ne se résumant qu’à une succession de flashs aveuglants. L’air suspendu s’arrêta un instant, puis le souffle puissant de l’orage se mit à charrier du sable tandis que de grosses gouttes s’abattaient çà et là tout autour de nous. Conscients du danger que représentait la prise de vues à découvert sur cette plage nue, nous nous précipitâmes dans la voiture alors qu’une puissante bourrasque fit ployer les dunes sous ses coups de boutoir. Cette dernière rafale signa comme un point final cette observation tranquille qui transforma le chasseur en proie, délogé par les événements furieux.


La chasse aux orages a cette vertu de nous remettre face à notre condition d’homme soumis à une nature qui nous dépasse. C’est au fond au-delà de la passion, une formidable leçon d’humilité qui nous fait nous sentir petit enfant face à un phénomène qui n’en finit pas de dévoiler tous ses mystères.


Récit et images : Henri Buffetaut
Mise en page & relecture : Mathieu Brochier

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