Nous sommes en pleine période orageuse, et peut-être avez-vous photographiés des orages incroyables. Des images tellement réussies qu’elles suscitent l’intérêt des journalistes. Comment refuser cette belle mise en lumière ? De la presse locale au journal de 20 heures, voir un média manifester l’envie de diffuser l’un de ses images est toujours gratifiant. On peut se retrouver pris au dépourvu si on n’est pas un habitué de la chose : mon nom peut-il apparaître ? Puis-je demander une rétribution, même en étant simple amateur ? De combien ? Comment facturer ? Eléments de réponse dans cet article.
Très rares sont les demandes qui ouvrent directement la porte à la voie de la rémunération. C’est à vous d’informer la personne qui vous contacte avec les tarifs que vous pratiquez, en fonction de l’utilisation qui sera faite de votre image. Vous n’avez pas l’habitude d’appliquer un tarif ? Ce dossier a été pensé pour vous !
Une fois l’annonce faite que vous souhaitez plus de détails sur ce qui sera fait de votre image afin de fournir un tarif, la personne qui vous contacte vous dira éventuellement qu’aucun budget n’est prévu pour le photographe. On peut alors imaginer que votre interlocuteur journaliste et tous ses collègues travaillent aussi gratuitement, mais vous vous en doutez, ce n’est pas le cas.
Souvent, on vous proposera une alternative : la mention de votre nom associée à votre photographie, comme si c’était un beau geste. Cette façon de présenter les choses est assez problématique car ici, votre interlocuteur ignore simplement la loi. En fait, citer l’auteur d’une œuvre n’est pas un bonus, c’est une obligation qui est rappelée par le Code de la Propriété Intellectuelle. Le droit de paternité (droit d’être identifié et associé à son œuvre) est un droit inaliénable, c’est-à-dire que l’auteur de l’œuvre conserve ce droit quoi qu’il arrive, même s’il a cédé, à titre gratuit ou payant, des droits d’exploitation de son œuvre. Votre incroyable photo d’orage qu’un média vous demande est donc une œuvre, et le nom de son auteur doit toujours y être associé.
Le savoir-faire d’une image d’orage
Il ne viendrait à l’idée de personne (ou presque) d’aller voir son boulanger et lui demander dix baguettes en échange d’une très bonne publicité. L’artisan sait pertinemment ce que lui coûte le fait de renoncer à me faire payer mon pain. Jamais cela ne sera compensé ou rentabilisé par un afflux record de fréquentation. Quémander ce genre de chose à son boulanger, son restaurateur, son garagiste ne mènera à rien parce qu’il est conscient que son travail a de la valeur. En cela, les domaines artistiques, dont la valeur est plus subjective, sont perçus différemment, notamment car la photographie est d’abord une passion, et que, s’agissant des photos réalisées « à temps perdu » (entendons par là hors d’un cadre d’une commande préalable), on perçoit la réalisation de ces images comme un hobby et non comme un travail.
Les rédactions ont des journalistes, des photographes, des correspondants locaux, qu’elles pourraient très bien envoyer pour tenter d’immortaliser ce genre d’images. Sans connaissance du terrain, du fonctionnement d’un orage, sans bases de météorologie solides et de technique photographique spécifique à l’orage, malgré toute leur bonne volonté, il est fort probable que ces personnes rentrent bredouilles.
Photographier l’orage, c’est un savoir-faire, et si une rédaction vous contacte vous, c’est bien qu’elle ne trouve pas dans ses ressources des personnes capables de réaliser ce type de prise de vues. Rien que pour ça, votre travail, d’un point de vue économique, a de la valeur, parce qu’il répond à la demande d’une entreprise. Un média est dans la quasi-totalité des cas une entreprise, dont le but est de générer de l’argent, et ce n’est pas un mal ! Toutefois, il est logique que toute personne contribuant à générer du profit puisse en tirer un bénéfice.
Vous vous êtes autoformé pour savoir réaliser vos images, au prix de longues heures de théorie, de lectures de bouquins, d’échanges entre passionnés… Vous avez persévéré sur le terrain pendant des années avant d’être capable aujourd’hui d’avoir des images saisissantes à présenter. Cet investissement personnel ne saurait être gratuitement détourné par un tiers, qui, lui, gagnerait de l’argent par votre travail, à travers les publicités associées notamment, ou les abonnements des lecteurs. Céder vos images à la presse, c’est être acteur de l’information en fournissant du contenu de qualité professionnelle, et ça se rémunère !
Les frais qui se cachent derrière votre image
S’il peut être dur, surtout au début, de saisir la valeur subjective de son image, on ne peut nier les frais qui se cachent derrière. D’abord, les frais directement engagés pour la sortie orageuse, notamment le coût du véhicule en lui-même et son entretien, et le carburant qui n’a jamais été aussi cher. Ajoutons pour de plus grosses excursions, les péages, la nourriture, voire l’hébergement. Également, n’oubliez pas votre matériel : le boîtier, les objectifs, trépieds, informatique, stockage… En termes de comptabilité, tous les frais engagés dans la réalisation d’une tâche doivent être répercutés, tout matériel utilisé doit être amorti. Si vous ne voyez pas dans votre travail un savoir-faire à valoriser, voyez au moins le fait qu’on ne peut décemment offrir à une entreprise la mise à disposition indirecte de matériel coûteux, d’un véhicule et de frais de déplacement.
On citera également l’adage « le temps c’est de l’argent ». Les chasses à l’orage sont extrêmement chronophages, et dès lors qu’on ne les effectue plus que pour soi en tant que hobby, mais qu’on fait bénéficier aux autres du produit de nos chasses, il faut envisager la chose sous un angle à nouveau plus comptable. Combien de congés avez-vous consacrés aux orages ? Combien de temps a-t-on du se priver de vie sociale, conjugale ou familiale ? Ne peut-on pas aussi être « indemnisé » par rapport à cela, si cette activité dépasse le caractère purement personnel mais est aussi effectuée pour le bénéfice d’un tiers ?
De façon générale, il ne faut pas envisager seulement le coût de cette image, qui a peut-être été réalisée devant chez vous, mais le coût général de l’activité, car toutes les images, toutes les sorties réalisées par le passé plus ou moins lointaines, sont le point de départ de l’image que vous avez été capable de réaliser aujourd’hui. Il ne faut donc pas minimiser ou dévaluer une image qui a été prise à côté de chez vous par rapport à une image de l’autre côté de l’Atlantique dans ce qu’elle a représenté en matière de frais, mais avoir une vision plus globale de votre investissement personnel et financier dans l’activité.
Une exception notable : le reportage ou l’interview qui vous est consacré. En effet, s’il est indispensable de demander à être payé quand un média vous sollicite pour une image, il est d’usage de ne rien demander dans le cas d’un reportage complet qui mettra en avant votre façon de travailler, vos talents et vos images. Il s’agit d’une belle publicité qui, pour le coup, pourrait tout à fait vous ouvrir de nouvelles portes.
Facturer quand on est professionnel
Vous pouvez rédiger une note d’auteur, qui permet, contre rémunération, de céder une partie des droits d’exploitation de votre image à un tiers. Cette utilisation doit être précisément définie par une nature et une durée. Oubliez donc « tout support, durée illimitée », qu’on peut parfois tenter de vous faire accepter. Sinon, cela revient à autoriser autant une miniature dans un article publié sur le web qu’à la une dans l’édition papier du lendemain, deux exploitations très différentes qui ne se monnayent pas du tout à l’identique.
Si vous avez un SIRET, pas de difficultés particulières, vous envoyez votre facture au média. Le statut idéal pour cela étant un statut d’auteur-photographe, qui permet uniquement la vente de tirages d’art et de cession de droit, mais avec des cotisations sociales plus faibles qu’un artisan-photographe. Vous facturez un montant sur lequel vous devez payer des cotisations sociales à l’URSSAF, et déclarez vos revenus aux impôts en tant que Bénéfices Non Commerciaux (BNC).
Se faire rémunérer sans être un professionnel
Si vous n’avez pas de SIRET, il est tout à fait possible d’établir une note d’auteur. La seule différence par rapport à un auteur-photographe avec SIRET, c’est que c’est au diffuseur (la presse) de payer directement les cotisations sociales à l’URSSAF. Le diffuseur fait donc deux opérations : il vous rémunère du montant convenu de la cession de droit, et il paye les cotisations sociales correspondantes à l’URSSAF. Le Blog « Droit et Photographie », de l’excellente et reconnue avocate Joëlle Verbrugge, explique dans cet article le fonctionnement plus détaillé et propose un modèle prérempli (avec les formules de calcul) d’une note d’auteur sans SIRET. Dans l’onglet « téléchargement », vous trouverez aussi des modèles de notes d’auteur pour les auteurs-photographes avec SIRET, que vous soyez assujettis à la TVA ou non. Tous les cas de figures sont envisagés sur ce site qui est une véritable mine d’or.
Quel montant facturer ?
Le montant d’une note d’auteur est totalement libre, c’est donc vous qui fixez celui-ci. Toutefois, pour se situer face à la réalité du marché d’un côté, et ne pas dévaluer son travail d’un autre côté, il existe des barèmes qui permettent de déterminer un prix recommandé sur la base de la nature de l’utilisation (commerciale ou non), le type de support (presse écrite, web, télévision, flyers…), et l’ampleur de la diffusion (nombre de tirages du support papier, nombre de visiteurs sur le site, type de chaîne télé et créneau horaire), la taille de la diffusion (une de journal, double page, pleine page et d’autres paramètres). Ces barèmes vous permettent de déterminer l’importance de l’exploitation de votre image et donc du potentiel de rémunération qui va avec.
Un barème de référence est celui de l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques).
Vous trouverez par exemple en page 25 la grille des tarifs conseillés pour une utilisation type presse numérique, selon le nombre d’images ainsi que l’audience du site ou le nombre de téléchargements. A la page 22 figure la grille tarifaire pour la presse papier en fonction du nombre de tirages et de la taille de l’image. Le cas d’une bi-utilisation (à la fois papier et numérique) est également envisagé. N’hésitez pas à vous référer au sommaire où vous trouverez une liste très exhaustive de types d’utilisations avec les barèmes associés.
Quelques exemples concrets :
- Ouest-France, leader de la presse quotidienne régionale (+600 000 diffusions/jour), veut utiliser ma photo pour un quart de page écrite ainsi que pour son site internet : 357€
- Le magazine mensuel Sciences et Avenir (200 000 diffusions/mois) veut utiliser ma photo pour la une de son prochain numéro (uniquement papier) : 903€
- Un média en ligne réalisant 150 000 visiteurs mensuel souhaite m’acheter une série de 8 images de ma dernière chasse à l’orage : 1253€
L’ADAGP est une base mais ne dispense pas de la phase de négociation et de discussion avec le média. Même le plus petit média de la presse quotidienne régionale qui vous dit ne pas avoir de budget alloué doit vous rémunérer d’un petit montant, par principe et par respect pour votre travail, peu importe votre statut. Vous pouvez accepter de faire un geste pour les médias de petite dimension qui ont peu de budget, refusez les « on a aucun budget ».
L’argument du droit à l’information
Il peut arriver que des médias aient la fâcheuse manie de se cacher derrière le « droit à l’information », exception au droit d’auteur, lorsqu’ils sont pris la main dans le sac à exploiter une image sans l’autorisation de son auteur. Cette exception au droit d’auteur concerne en fait uniquement une exploitation dans le but d’une information immédiate, et en relation directe avec le fait d’information. Par exemple, une photographie sans composition ni originalité d’un grêlon géant, publiée spontanément sur les réseaux sociaux, pourrait entrer dans ce cadre pour un article traitant de la grêle et de ses dégâts dans cette zone, publié dans la foulée. En revanche, l’exploitation d’une image d’un impact de foudre, pour son caractère esthétique, pour illustrer un épisode orageux, est abusive, car l’actualité qui y est associée ne se rapporte pas directement à cette image précise, à ce lieu précis et cet instant précis, mais est exploitée avant tout pour ses qualités esthétiques. En outre, l’exploitation de cette image n’a pas un caractère nécessaire pour le traitement de l’information mais relève d’une exploitation de l’œuvre non autorisée constituant une contrefaçon. De nombreux arrêts de cassation définissent ces limites du droit à l’information, mais il arrive que certains médias utilisent cet argument, dans l’espoir de décourager l’auteur de l’œuvre d’aller plus loin dans ses démarches.
En cas d’exploitation non-autorisée
Ne vous précipitez pas dans un contact musclé avec le diffuseur de l’image, qui n’aboutirait à rien, sauf à une rupture de dialogue qui compliquerait la suite. D’abord, la voie amiable : il peut s’agir de demander la suppression immédiate de l’image, ce qui est à recommander pour des publications amatrices sur des réseaux sociaux ou petits blogs, souvent de la part d’individus n’ayant aucune notion de droit d’auteur. Dans le cas où l’exploitation dépasse ce cadre, l’envoi d’une note d’auteur est une première étape, même si votre accord n’a pas été donné préalablement. Il est courant, pour un traitement plus rapide de l’information, que des médias exploitent les œuvres sans demander l’accord de l’auteur, tout en étant prêt à rémunérer celui-ci s’il se manifeste, gagnant ainsi du temps, et dans une moindre mesure, de l’argent pour les personnes qui ne s’en rendraient pas compte ou fermeraient les yeux. Dans ce cas, vous êtes d’autant plus en position de force. N’ayez pas peur de facturer au moins au barème ! Des majorations peuvent être prévues, pouvant atteindre parfois 100% voire 200% du montant si certains droits de l’auteur n’ont pas été respectés : si le nom du photographe n’est pas présent (droit de paternité), si l’œuvre a été dénaturée par un recadrage, une qualité anormalement basse ou une modification de couleur ou de contraste de l’image (droit au respect de l’œuvre), etc.
Si malgré toute votre bonne volonté la voie amiable n’aboutit pas, on pourra alors envisager un recours légal. Il ne faudra alors pas hésiter à faire constater par huissier l’exploitation illicite de votre image, notamment sur le web, afin que les captures d’écran soient recevables juridiquement. Je vous conseille là encore le site et les ouvrages de Joëlle Verbrugge qui vous communiqueront des informations bien plus justes et pertinentes que je ne pourrais le faire.
Vendez vos images !
Traquer les orages jusqu’à obtenir LA photo est l’aboutissement d’un investissement personnel et financier, un véritable savoir-faire rare. Le diffuseur de votre image doit vous rémunérer à hauteur de l’ampleur de la diffusion de l’image et des bénéfices qu’elle permet de générer à ce dernier. En cédant votre image à la presse, vous devenez le temps d’une édition un véritable maillon de la chaîne d’information qu’est le photographe de presse, que vous soyez à la base amateur ou professionnel. En anticipant la question du statut, de la forme de la rémunération et du mode de détermination de son montant, vous avez l’essentiel à retenir pour demander à être rémunéré. Ainsi, vous allez maintenir un cadre de considération et de respect pour le droit d’auteur et la photographie par les diffuseurs d’images et d’information.