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Analyse du foudroiement du viaduc de Millau par Alex Hermant

par Alex Hermant

Ce texte a été originalement publié sur le blog d’Alex Hermant en 2013. Il nous a amicalement autorisés à le reproduire ici dans une version mise à jour pour l’occasion.

I – Introduction

Dans la nuit du 6 au 7 Août 2013, entre 23h03 et 23h04, monsieur Bruno Auroy a réussi l’une des photos d’éclairs les plus intéressantes au monde depuis que l’on photographie la foudre. On y voit les mâts qui surmontent les 7 piles du viaduc de Millau recevoir chacun un impact de foudre.

Rapidement, cette image époustouflante s’est envolée sur le web ainsi que dans la presse… Elle est en passe de faire le tour du monde. J’ai cependant noté que cet étonnant cliché était très controversé sur les réseaux sociaux et qu’un certain nombre le considérait comme un habile truquage, ce qui à première vue ne me semblait pas le cas. Un peu agacé, j’ai donc contacté Monsieur Auroy afin d’étudier l’image dans le détail et d’en dégager une explication mais également dans l’intention de défendre sa singulière photo.

Dans ce sens et spontanément, il m’a transmis l’image brute et en haute définition, c’est-à-dire telle qu’elle lui est apparue avant qu’il n’apporte les corrections destinées à améliorer la surexposition, comme le fait tout photographe d’éclairs soucieux de donner la meilleure qualité à ses images. Personnellement, je la préfère dans sa version brute car la lumière, donne la pleine dimension de l’événement (voir ci-dessous).

Bien évidemment, l’image n’est pas truquée, il s’agit d’une prise de vue « absolument authentique ». Il aurait fallu une sacrée habileté et une immense connaissance de l’éclair et des phénomènes orageux pour parvenir à un trucage aussi élaboré. Ici, chaque élément foudre coexistant est harmonieusement disposé dans son environnement orageux, et cela ne peut pas échapper à ceux qui ont une longue expérience du terrain. Bref, à ce jour, je ne connais aucune personne capable de réaliser un trucage teinté d’un tel réalisme.

II – Commentaires

L’image est retranscrite ici dans sa version brute, sans la moindre amélioration et donc relativement surexposée.

Sept éclairs simultanés touchent les sept mâts en acier de 87 mètres qui surmontent les piles du viaduc. Plus en arrière, apparaît un très puissant impact vraisemblablement positif. A vue d’œil, et en tenant compte de la surexposition, on peut penser que son intensité dépasse largement les 100 000 ampères. Si la surexposition était réellement outrancière, au point de donner l’illusion d’une forte amplitude, les éclairs du viaduc seraient brûlés.

Numérotation des 7 éclairs ascendants renvoyant aux textes et annexes

Seuls les éclairs de très faible amplitude qui jaillissent des mâts 01 et 04 (en partant de la gauche) ressemblent davantage à de longs traceurs ascendants plutôt qu’à des foudroiements conventionnels. C’est-à-dire qu’il existe très peu de chance pour qu’ils soient porteur d’un transfert de charge du nuage vers le sol, même de très faible amplitude. Trois coups de foudre (03, 05 et 07) sont porteurs d’une charge de faible amplitude. Le coup de foudre 02 semble s’approcher de la moyenne. Seul le coup de foudre 06 est manifestement porteur d’une charge plus élevée, sa configuration lisse et faiblement pourvue d’éléments sinueux est également propre à celle de l’éclair positif classique de moyenne amplitude.

Le photographe m’a expliqué que les éclairs se manifestaient depuis un moment déjà avant le cliché, ce qui semble se confirmer sur les cartes de densité de foudroiement ainsi que des images antérieures réalisées par d’autres photographes postés dans les environs. J’ai cru comprendre qu’après ce cliché, le plus fort de la pluie est passé sur le point d’observation puis sur Millau. N’étant pas sur place, il est extrêmement délicat de se hasarder à une interprétation de la situation réelle mais si ce genre de tentative présente quelques risques, elle en n’en demeure pas moins extrêmement motivante.

Une image de CC. Chrispic à 22h38 montre déjà un éclair dont la configuration présente les caractéristiques visuelles d’un courant de foudre positif. Sur les quelques images consultées, il en ressort que l’environnement orageux paraît saturé d’humidité. Le manque de densité dans les bases laisse penser à des structures anarchiques momentanées incluses dans un système plus vaste qui tend vers l’étalement. Ces considérations et celles qui suivent sont importantes pour la compréhension du multiple foudroiement du viaduc de Millau.

À ce stade, un système orageux en voie de dissipation est en effet affecté par une subsidence générale des parties supérieures. Cet affaissement (même si de jeunes cellules éparses poussent à l’intérieur) a pour effet de ramener les charges positives supérieures vers l’étage moyen, donc d’augmenter le nombre de foudroiements positifs et de favoriser l’extension horizontale des éclairs intranuageux situés dans les strates inférieures de la basse et moyenne troposphère.

III – Coupe d’un Système convectif de moyenne échelle

En général, dans un MCS correctement structuré, la majorité des éclairs positifs se positionne à l’arrière de l’orage, au sein de la vaste zone de pluie stratiforme, lorsque le plus spectaculaire de l’activité électrique issue de la charge négative principale est passé. La coupe ci-dessus illustre la répartition des éclairs négatifs et positifs à l’intérieur d’un MCS classique. Ce schéma est une synthèse inspirée d’études américaines relativement récentes. Dans le cas de Millau, la présence de ce type d’éclairs positifs à l’avant du système peut être l’indice d’un effondrement général de la partie antérieure du MCS. Mais tout cela est à prendre avec précaution.

Échos radar sur l’Aveyron. Infoclimat.

L’image du 6 août 2013 à 23h00 (quatre minutes avant la prise de vue de Monsieur Auroy) montre un amas orageux mal structuré sur l’Aveyron suivi d’une ligne légèrement arquée contenant de forts noyaux de précipitations au sud-ouest du département. Ceci nous conduit au rapport entre la structure positive du MCS et le déclenchement de violents coups de foudre positifs associés à l’apparition simultanée de coups de foudre ascendants sur les hautes structures conductrices.

IV – Coup de foudre ascendant arborescent en Lozère

L’image fut réalisée en Lozère en direction du Truc de Fortunio à l’arrière d’un MCS. Elle illustre un phénomène classique de coup de foudre positif et de forte activité intranuageuse horizontale initiant l’apparition d’un coup de foudre ascendant sur l’émetteur TDF.

La chronologie de l’évènement est la suivante :

  • 1 : Apparition de décharges intranuageuses horizontales (en basse troposphère) progressant vers la partie postérieure du MCS.
  • 2 : Déclenchement du coup de foudre positif.
  • 3 : Maintien de l’activité intranuageuse et décroissance progressive du canal positif.
  • 4 : Extinction de l’activité intranuageuse et développement du coup de foudre ascendant.
  • 5 : Faible transfert de charges (sans doute positives) descendantes et extinction du canal positif de gauche.

Pour la plupart des MCS, la majorité des coups de foudre positifs apparaissent après qu’un certain nombre d’illuminations intranuageuses se développent du coeur vers l’arrière de l’orage. Durant cette phase, des coups de foudre ascendants peuvent donc se déclencher par extension de traceurs sur les pointes conductrices. L’ensemble d’un phénomène s’étale en moyenne sur une durée de temps de quelques centaines de millisecondes à une seconde comme ici, parfois plus. La durée de vie des positifs étant le plus souvent très inférieure à la seconde mais la totalité de l’évènement (décharges internes rampantes comprises) peut s’étendre sur deux, trois secondes et plus.

V – Coup de foudre ascendant linéaire sur l’émetteur du Mont Bessou en Corrèze

Cet impact sur le grand émetteur du Mont Bessou en Corrèze est un exemple d’ascendant linéaire, c’est-à-dire sans embranchement en V ou en Y. Sur le plan visuel, le critère permettant de le différencier d’un éclair descendant est l’illumination progressive du canal en début de période (progressive pour un œil habitué). Un impact descendant produit une luminosité brutale et immédiate. L’éclair du Mont Bessou est situé tout à l’arrière d’une vaste MCS (nuit du 21 au 22 septembre 1992). Le pseudo front et sa charge négative principale devaient sévir du Cantal au Puy-de-Dôme. A l’instant de ce coup de foudre, la pluie stratiforme avait presque cessé et s’était considérablement affinée, le plateau de Millevache était envahi par les stratus (avec dégagements ponctuels). Chronologiquement, l’ensemble de cet événement d’une durée de 1680 millisecondes s’est déroulé comme suit :

  • 1 : Vaste propagation intranuageuse de l’est vers l’ouest durant une seconde.
  • 2 : Déclenchement d’un coup de foudre ascendant de 680 millisecondes (impulsion unique présentant une crête lumineuse croissante de 120 millisecondes suivie d’un transfert de charge stable de 120 millisecondes puis d’une décroissance lumineuse progressive durant 440 millisecondes). Les éclairs internuageux visibles sur la photo se sont produits en fin de période de la décharge intranuageuse.

En examinant attentivement l’image de Monsieur Auroy, il est indubitable que l’on se trouve dans une configuration similaire à ce qui a été évoqué plus haut hormis que les circonstances de production de foudroiements positifs ne sont pas celles que l’on rencontre dans les pluies stratiformes postérieures des MCS conventionnels, le phénomène se situant ici bien plus en avant. Cela ne change rien puisque, dans un cas comme dans l’autre, l’environnement électrique d’un intense courant positif produit le même type d’effets subséquents tel que le développement de longs traceurs ascendants d’une dimension dépassant largement la hauteur totale des objets qui le produisent si la nappe nuageuse est assez étendue et massivement positive pour fournir une activité électrique interne horizontale progressive.

En clair, dans le cas du viaduc de Millau, il ne s’agit pas d’éclairs descendants foudroyant les sept mâts en acier mais de décharges initiées par la pointe de ces derniers au moment où le puissant coup de foudre positif d’arrière-plan est apparu. Si le viaduc n’existait pas, aucun impact ne serait venu frapper la vallée du Tarn en contrebas, pas plus que les versants ou les sommets. Il ne peut en être autrement.

Ce petit schéma montre à droite, le type d’éclair ascendant dont il est ici question.

Il est important de rappeler qu’en l’absence d’impact positif, le phénomène peut également être observé sous l’action de simples mais vastes décharges intranuageuses en moyenne troposphère, tout particulièrement sous les pluies stratiformes. Les larges MCS ou les orages en V présentant leur pointe entre la Montagne Noire et Narbonne sont les plus susceptibles de générer un événement similaire au sud du plateau central. En revanche, sous la charge négative principale d’un MCS ou de tout autre type d’orage, il serait vain d’attendre un phénomène analogue à celui de l’image de Monsieur Auroy. Un tel événement serait alors théoriquement impossible en présence d’éclairs descendants négatifs classiques.

À ce sujet, une image qui se promène sur Internet montre le foudroiement d’un seul pylône du viaduc ainsi que l’apparition d’un traceur ascendant d’environ 70 à 80 mètres de long sur le pylône voisin conformément au schéma classique du foudroiement négatif.

Pour en finir avec le foudroiement des grandes structures conductrices, je conseille l’étude minutieuse des vidéo américaines montrant des éclairs multiples sur les émetteurs de grande taille.

VI – Chronologie supposée de l’événement de Millau

En retouchant grossièrement l’image j’ai tenté d’établir la chronologie de l’évènement.

  • Image 1 : Apparition d’un tube descendant positif de très forte intensité en arrière-plan et déclenchement de l’effet de pointe sur les mâts.
  • Image 2 : Propagation des sept traceurs ascendants.
  • Image 3 : Développements de cinq coups de foudre ascendants.
  • Image 4 : Transfert de charges positives descendantes principales sur le pylône 6.

Je rappelle que Monsieur Auroy m’a précisé que tous les phénomènes électriques se sont produits en même temps. Cela n’exclue pas un ordre dans l’apparition des évènements se situant probablement dans une échelle de temps d’environ 100 à 500 millisecondes ou peut-être plus (ces valeurs qui incluent les nappes intranuageuses sont déduites de moyennes extraites de nombreuses analyses de films vidéo enregistrés sous différents types de MCS). Mon explication attribuant à l’impact positif une influence déterminante peut être contestée mais, dans ce cas, une vaste nappe intranuageuse circulant dans la strate inférieure aurait été nécessaire, ce qui n’est pas totalement impossible dans ce genre de situation mais qui demeure plus probable dans la partie postérieure des MCS.

Annexe 1

Ces tracés colorés tentent de mettre de l’ordre dans les différentes trajectoires des éclairs. Le tracé orange ne semble pas appartenir à un arc relié au sol. Le tracé rouge est celui du coup de foudre positif d’arrière-plan mais également de l’éclair internuageux qui le surplombe. En réalité, il y a très peu de chances pour que les deux soient liés dans le même instant.

Les décharges 03, 05 bleu et 07 vert sont porteuses d’une charge de faible amplitude. Seuls les éclairs (en jaune) de très faible amplitude jaillissent des mâts 01 et 04 mais il demeure toujours un doute… car l’éclair de faible luminosité qui s’éloigne de l’observateur tend à disparaître dans l’espace postérieur, le rayonnement lumineux étant interrompu par la pluie. Ce qui est alors perçu comme une simple décharge s’amenuisant à mesure de sa progression ascendante peut être en réalité un éclair complet d’amplitude extrêmement faible s’étendant jusqu’à la charge positive principale mais épuisé par le CF positif initial.

Annexe 2

Image de gauche : Exemple de traceur ascendant (1) de grande dimension (sans doute plus de 400 mètres) sur l’émetteur de L’Etoile, à Marseille, en marge d’un coup de foudre positif, sans déclenchement de coup de foudre ascendant. Cette manifestation est similaire aux deux traceurs 01 et 04 du viaduc de Millau.

Image de droite : Coup de foudre ascendant à embranchement élevé, la division en 3 se fait sur un segment vertical initial de 1100 mètres environ.

Annexe 3

Viaduc de Millau. Les parties supérieures du traceur 01 et du coup de foudre 05 s’apparentent à la photo précédente (n° 2). Les deux images recadrées en gros plan montrent le même type de division ascendante pour des segments initiaux de 1300 mètres environ (l’estimation est réalisée sur le plan et ne tient pas compte d’une éventuelle inclinaison de face).

Annexe 4

Pour conclure, il n’est pas inutile de mettre en comparaison l’image de Monsieur Auroy (à gauche) avec celle de Jean-Sébastien Blanc (à droite), grand habitué des impacts en tout genre sur le secteur industriel de Fos-Lavéra. On y voit trois impacts positifs simultanés sur des éoliennes et un quatrième sur une grue du port de Fos-sur-Mer. Cette image est réalisée sous les pluies stratiformes d’un orage en V. Par rapport au cas du viaduc de Millau, aucun élément visuel ne laisse penser qu’il s’agisse de coups de foudre ascendants mais dans la plupart des cas, l’éclair positif est un éclair solitaire qui pompe l’ensemble des charges positives de la moyenne troposphère. Les groupes de positifs, nettement moins spectaculaires, sont alors imputables à des effets initiés par les conducteurs de grande dimension.

Dossier : Alex Hermant
Mise en page et relecture : Maxime Daviron, Will Hien

Éléments supplémentaires

Récit des orages entre Aveyron et Hérault, 6 et 7 août 2013 – Christian Carmona

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